Logo du site

Article publié le 7 avril 2020.

Nos analyses et propositions pour les conditions de travail des enquêtrices et enquêteurs

Le mémento CGT, FO, SUD présenté à la direction lors du GT du 7 avril 2020

Propos liminaires et revendications

L’Insee a décidé qu’aucune enquêtrice ni aucun enquêteur ne se rendrait sur le terrain pendant le confinement. C’est une bonne mesure à la hauteur des enjeux.
Pour autant le basculement de toutes les enquêtes par téléphone ne nous convient pas. Le télétravail ne va pas de soi. Chaque situation individuelle est différente et nombreux sont les collègues qui pour des raisons diverses ne sont pas dans des conditions permettant de télétravailler, en tout cas pas à temps plein.

L’Insee a en effet décidé de basculer en collecte par téléphone une grande partie des enquêtes faites jusque-là en face à face, en particulier les fiches adresse entrantes. Cela change brutalement et profondément la nature du travail. En conséquence cela transforme la nature des risques professionnels auxquels les enquêtrices et les enquêteurs sont exposé·e·s.

Dans le cadre du CHSCT spécial enquêtrices et enquêteurs nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer les risques inhérents à l’activité téléphonique, en particulier celle de l’enquête CAMME. Durant la période de confinement, en conséquence de la généralisation des enquêtes téléphoniques les personnels sont soumis à des risques accrus ainsi qu’à de nouveaux risques.

À l’aune de ses travaux sur les centres d’appels téléphoniques, l’INRS identifie une série de risques liés à l’activité téléphonique. Certains d’entre eux existaient déjà et sont renforcés par la situation de télétravail. D’autres apparaissent spécifiquement liées aux nouvelles conditions de télétravail.

• Pression temporelle, rythmes de travail intensifs
• Faible autonomie (travail scripté, contrôle permanent du travail)
• Monotonie et répétitivité des tâches
• Charge mentale importante (plusieurs tâches simultanées)
• Violence verbale
• Charge émotionnelle élevée : obligation de garder son calme et d’être cordial en toutes circonstances
• Situations de travail isolé
• Troubles musculo-squelettiques (Espace de travail exigu, poste de travail inadapté : écran, souris et clavier mal positionnés, travail au téléphone avec un combiné, travail statique et répétitif)
• Atteintes auditives (niveau sonore du casque, niveau sonore ambiant, chocs acoustiques)
• Pathologies de la voix
• Fatigue visuelle

En période de confinement, le risque de « charge émotionnelle élevée » et éventuellement de « violence verbale » est accru.Certain·e·s enquêté·e·s sont méfiant·e·s et/ou ne comprennent pas d’être interrogé·e·s dans la période de confinement. L’absence de lettre avis papier et parfois de l’absence complète de lettre avis ne facilitent pas non plus. Le mail et le SMS ne remplace pas un courrier officiel. Le mail et le SMS ne remplacent pas un courrier officiel.

Face à ces risques l’INRS préconise en matière d’organisation du travail :
• « De définir des objectifs réalistes  »
En effet il s’agit dans les circonstances de ne pas surcharger les personnels. Alors que certain·e·s collègues sont en autorisation spéciale d’absence pour garde d’enfant il n’est pas normal par exemple que les charges de travail soient reportées sur les collègues en télétravail. Il convient de prendre soin d’adapter la charge aux personnels disponibles et non de diviser la charge par l’effectif disponible.« Laisser de l’autonomie : possibilité d’organiser son travail, d’adapter les scripts de réponse »
Il faut que consigne soit rappelée à toutes les DEM de laisser aux enquêtrices et enquêteurs une marge de manœuvre dans la gestion de leur travail hebdomadaire. Cette préconisation est particulièrement renforcée par les difficultés spécifiques liées au travail à domicile en période de confinement.
• « Prévoir des moments de pause  »
Le ministère du travail préconise des pauses toutes les heures environ pour le travail par téléphone devant écran. Dans ce contexte il n’est pas raisonnable de basculer des enquêtes de plus d’une heure par téléphone. Le secrétariat général de Bercy quant à lui indique dans la fiche repère consacré au « centre d’appel » la nécessité de « pouvoir faire des pauses dans un endroit bien isolé du bruit. »
• « Éviter la monotonie en alternant les tâches de prise d’appels avec d’autres tâches psychologiquement moins exigeantes »

Ce point est particulièrement décisif pour le travail des enquêtrices et des enquêteurs. En période normale chacun·e peut à des degrés divers, mettre en œuvre ce principe et varier, en autonomie, les différentes tâches du travail d’enquête. En basculant l’ensemble du travail par téléphone, cette préconisation devient plus difficile à mettre spontanément en œuvre. Cela renforce donc les préconisations précédentes en matière de pause et de charge de travail.

Nous faisons par ailleurs remarquer que compte tenu du travail à domicile, l’Insee n’a pas la main sur les préconisations de l’INRS en matière d’environnement de travail et d’organisation du poste de travail. Celles-ci sont pourtant cruciales à la santé et la sécurité des enquêtrices et enquêteurs. Il convient donc encore une fois d’observer la plus grande bienveillance à l’égard des personnels en matière de charge confiée et de résultat. Tout le monde ne dispose pas des moyens matériels et logistiques d’organiser un espace de travail isolé, équipé et suffisamment spacieux, encore moins sur un temps complet et aux horaires spécifiques de collecte. En conséquence il est hors de question de calibrer la charge comme si rien n’avait changé.

L’Insee doit également prendre en considération les éventuelles pathologies auditives préexistantes chez les personnels. Avez-vous recensé les cas d’enquêtrices et d’enquêteurs qui auraient des troubles auditifs limitant leurs capacités de travail par téléphone ? Il est indispensable que ce travail soit fait en lien avec la médecine de prévention, avant de basculer les fiches adresse du face à face au téléphone.
Enfin nous attirons l’attention sur la problématique des chocs acoustiques qui peuvent conduire à des « traumatismes sonores reconnus comme accident du travail (hyperacousie, décalage temporaire du seuil de l’audition), ils sont insupportables pour les salariés. » Les chocs acoustiques sont des « événements électro-acoustiques rares et imprévisibles conduisant à des niveaux de bruit intenses, souvent courts, reçus dans les casques utilisés notamment par les opérateurs dans les centres d’appels téléphoniques »

Prévention doit être faite sur ce point en lien avec la médecine de prévention.
Une fiche réflexe sur les incidents acoustiques est disponible sur Alizé et l’INRS préconise comme mesure immédiate de :
• « Retirer immédiatement son casque : le mieux est que l’opérateur le pose sur sa table et qu’il aille chercher son superviseur pour lui faire constater l’incident.
• Signaler à l’interlocuteur, en se servant du microphone, que la communication va être interrompue.
• Raccrocher. Le choc peut en effet se reproduire sur la ligne utilisée. »
L’INRS comme le Secrétariat général des MEFs souligne la nécessité d’utiliser des casques avec limitateurs numériques de niveaux : « Le micro et les oreillettes du casque doivent être réglables et équipés de limiteurs numériques de niveaux afin de limiter le niveau sonore à la source. » (fiche réflexe de Bercy sur les incident acoustiques.) L’INRS signale que « ces dispositifs de protection détectent et filtrent en principe les chocs acoustiques. »
Aujourd’hui les enquêtrices et enquêteurs de l’Insee sont équipé·e·s d’un matériel vieillissant qui ne répond pas à ces préconisations. Nous rappelons et déplorons que l’Insee ait écarté pour des raisons budgétaires les casques Jabra recommandés par le Secrétariat général des MEFs et utilisés dans les centres d’appel de la DGFIP.

Nous comprenons et partageons la nécessaire priorité à l’objectif de santé publique. C’est pourquoi les considérations de santé au travail ne peuvent ni être reportées à la fin du confinement ni reléguées au second rang. D’ailleurs les obligations de l’employeur en la matière ne s’évaporent pas en période de confinement. Si l’Insee veut assurer un service statistique minimum en matière d’enquêtes ménages il ne pourra le faire qu’avec des personnels en bonne santé.

Au regard de tous ces éléments, il est indispensable que l’Insee repense son organisation du travail d’enquête dans la période de confinement. Les éléments de base en santé et sécurité au travail excluent un basculement complet des enquêtes par téléphone : celui-ci ne doit concerner que les travaux strictement nécessaires au suivi et la mesure de la conjoncture en période de crise sanitaire.

C’est pourquoi notre première demande est de prioriser la résolution des problèmes actuels, que nous avons pris le soin de détailler dans la suite de ce document sur la base des remontées « de terrain » des enquêtrices et enquêteurs ou d’agents des Dem (partie I : bilan des difficultés rencontrées sur les enquêtes en cours).

Concernant ces enquêtes en cours (EEC, Mélopée, SRCV, L&C, Camme) :
• Nous demandons un bilan complet des remontées au cours de cette première période de confinement (tous codes NTT, IAJ, refus, et toutes observations qualitatives). Ce bilan doit également inclure une information sur ce qui se fait pour les mêmes enquêtes dans les autres pays européens.
• Nous demandons l’arrêt immédiat de SRCV pour toutes les entrantes où il n’y avait pas de contacts avant le confinement.
• Quelle que soit l’enquête, nous demandons de dispenser les soignant.e.s et personnes malades de réponse aux enquêtes.
• Les enquêtrices et enquêteurs ayant des enfants et ne pouvant travailler doivent être déchargés de leur charge de travail comme la direction s’y est engagée. Mais cela doit être fait en veillant à ne pas surcharger les autres enquêtrices et enquêteurs.
• De même, nous demandons que soit identifiées les enquêtrices avec beaucoup de charge téléphonique pour les alléger, là encore sans surcharger d’autres.
• S’agissant des enquêtes n’ayant pu être réalisées : pour toutes les enquêtes, nous demandons que coder en NTT tout ce qui est lié à la crise sanitaire, y compris les refus et IAJ même quand on a les coordonnées.
• S’agissant des problèmes de dématérialisation : nous demandons l’installation d’Outlook à distance sur tous les postes des enquêtrices, et que les LA dématérialisées puissent leur être envoyées directement dans le corps des méls. Nous demandons également que soit donnée la possibilité de faire des attestations sur l’honneur pour les remboursements de frais, avec transmission plus tardive des justificatifs.
Notre demande corollaire est de ne pas faire basculer d’autres enquêtes ménages ou prix par téléphone. En particulier, nous demandons l’abandon des réflexions en cours concernant la possibilité de passer les enquêtes TeO et MFV en mode téléphone (partie II : nos raisons de ne pas faire basculer TeO et MFV en mode téléphone).

Partie I : bilan des difficultés rencontrées sur les enquêtes en cours A – Un changement d’organisation de travail porteur de risques

Difficultés dues à la dématérialisation

Intensification des échanges par mails et isolement accru

Passée la première semaine de mise en place du confinement qui a pu donner lieu à un fort sentiment d’abandon et des difficultés « techniques » importantes côté enquêtrices comme côté Dem, les enquêtrices soulignent que globalement, les relations avec les Dem sont bienveillantes : le plus souvent, au moins le ou la chef.fe de Dem est joignable (et parfois les responsables managériaux, voire les gestionnaires, en fonction des organisations locales). A quelques exceptions près, elles soulignent n’avoir pas de pression sur les délais et sur les résultats.
Néanmoins, des difficultés importantes se font jour du fait que le confinement réduit les possibilités de contacts entre les agents de bureau, et entre enquêtrices et agents de bureau.
• Les informations passent encore plus par mél dans la période : les consignes arrivent en masse et il est très difficile de trier les méls de consignes de la Dem, ceux de la direction, ceux pour les enquêtés : Owa est une catastrophe pour faire ce travail-là, en termes de temps mais aussi en termes de visibilité : tout est brouillé !
• Quand il y a des problèmes informatiques, ils sont quasi insolubles, car ils nécessitent des allers-retours entre des personnes elles-mêmes isolées et sans possibilité d’intervention (Dem, Giir, Metz…).

Difficultés techniques importantes liées à la dématérialisation (des lettres avis, des listes, des FA ou des remboursements)
Dématérialisation des FA
• La manipulation de ces LA est difficile dans la mesure où les formations informatiques n’ont pas été faites pour nombre d’enquêtrices et enquêteurs.
• Problèmes avec Owa et les outils LibreOffice et la Marianne.
• Les listes pour Camme sont trop petites pour être lues sur écran : beaucoup d’enquêtrices et enquêteurs les ont sorties en papier !
Dématérialisation des FA
• Difficultés pour ouvrir les FA en pdf : certain-e-s recopient les infos à la main.
• De plus ce sont des FA initiales (vierges), sans les annotations parfois bien utiles.
• Difficulté pour le tri des FA quand on ne les a pas sous les yeux et qu’on a plusieurs enquêtes à gérer.

Des problèmes liés à la dématérialisation des LA et FA sont également signalés par les agents Dem : nombreuses versions reçues, bugs, etc.

Remboursements de frais : des enquêtrices ont des difficultés pour scanner et prendre des photos et les envoyer via Owa.

Problèmes d’ergonomie – conditions de travail – santé psychique

La multiplication des enquêtes téléphoniques fait ressortir tous les problèmes ergonomiques afférents à ce mode d’enquête :
• Matériel (bureau, fauteuil) pas forcément adéquat pour un travail répété : postures douloureuses, quelques problèmes de casques défectueux et même encore des enquêtrices non équipées.
• Place dans le logement pas forcément suffisante pour s’isoler du reste de la famille qui est présent en permanence : peut générer du bruit.
• Egalement des problèmes de bruit et de concentration lorsque les enquêtés sont confinés avec leur famille qui continue son activité pendant l’enquête.
• La longueur de certaines enquêtes (notamment : entrantes EEC quand plusieurs interrogations, SRCV) fatigue considérablement la voix, provoque des toux ou des aphonies.

Des situations de surcharge d’enquêtes téléphoniques sont signalées non pas de façon globale, mais pour certaines enquêtrices.
Nous signalons l’émergence d’importants conflits de valeurs et de RPS :
• Les enquêtrices font part à la fois leur volonté d’assurer un service minimum par sens du service public, mais ont en même temps le sentiment récurrent de « forcer » des enquêtés fragilisés (notamment personnels soignants, personnes âgées..) et aussi de faire un travail dégradé dont les possibilités d’exploitation ne sont pas flagrantes.
• Des craintes se font jour que ce mode dégradé soit généralisé à des travaux non essentiels dans la période, et perdure au-delà du confinement, remettant en cause leur professionnalisme.
• A noter que plusieurs font remonter une certaine démoralisation face à l’absence de retours suites aux SMS ou mails-avis : ces remontées s’accentuent au fur et à mesure que le confinement dure.

B – Les difficultés récurrentes sur les enquêtes en cours (EEC, SRCV, Camme, L&C)

Une difficulté importante à pouvoir réaliser les enquêtes entrantes : nombreux refus

Un problème majeur : les refus des enquêté-e-s du fait de la situation de crise sanitaire...

• Certains sont confrontés directement à la maladie (soit par leur métier, soit par leur situation personnelle) et prennent mal la sollicitation.
• Beaucoup d’enquêtés n’ont pas confiance (peur des fraudes et démarches malveillantes) et certains multiplient même les vérifications (auprès de la mairie par exemple).
• Certains enquêtés sont agressifs ou grossiers.
Globalement, il faut prendre un temps supplémentaire conséquent pour convaincre.
Les problèmes de refus et de temps de conviction sont particulièrement flagrants pour toutes les nouvelles entrantes (sachant que même certaines intermédiaires ou sortantes sont difficiles à obtenir en l’absence des LA) et ce pour les 4 enquêtes :
• Pour SRCV : des refus quasi systématiques sur les nouvelles entrantes pour lesquelles aucune LA n’avait pu être envoyée préalablement au confinement ; pour les autres, il faut compter au moins une demi-heure pour préparer correctement la passation de l’enquête, et notamment demander à l’enquêté de sortir l’ensemble des documents nécessaires.
• Pour les entrantes EEC, Loyers et Charges et Camme (arrivées depuis le confinement), un nombre de refus importants sans discussion possible et lorsque cela n’est pas le cas, il faut souvent un quart d’heure de téléphone pour obtenir un autre RV téléphonique.
Les difficultés d’approches sont plus grandes dans les ménages qui sont surpeuplés ou dans des situations de confinement précaires (logements petits, peu de possibilités de sortir), et avec les personnes âgées qui souvent ont peur des arnaques.

...auquel s’ajoutent les problèmes liés à l’identification et aux coordonnées : beaucoup d’impossibles à joindre !

• EEC issue de Fideli : les coordonnées fournies, mél et téléphone, ne sont souvent pas bonnes, notamment tous les numéros de téléphone en 09 (numéros correspondant à des box mais pas au téléphone réel ; nombreux locataires ayant déménagé). Il y a un problème spécifique pour les femmes identifiées sous leur nom de naissance.
• Loyers et Charges : pas de réelles coordonnées, nécessité pour les gestionnaires de faire des recherches.

Pour les enquêtes réalisées, allongement de leur durée en raison des conditions de passation et/ou de leur complexité

Pour toutes les enquêtes en cours pour lesquelles l’enquête peut être réalisée, les enquêtrices signalent un allongement important des durées de passation des questionnaires, soit du fait de leurs conditions de passation (environnement de l’enquêté), soit du fait de la complexification des enquêtes liée au changement de protocole (passage en téléphone d’enquêtes élaborées pour du face-à-face).

Difficultés liées à l’environnement des enquêtés 
• Certains enquêtés sont débordés par les enfants, le conjoint… : enquête brouillée par l’environnement, besoin de beaucoup répéter les questions
• D’autres qui au contraire sont isolés ont besoin de parler bien au-delà des questions de l’enquête

Difficultés liées à la complexité des enquêtes et au changement de protocole 

• Entrantes EEC : Passer par téléphone les questions où d’habitude des cartes sont montrées rallonge considérablement l’enquête : entre 30 et 45 minutes pour un seul QI (exemple du module accidents au travail pour lequel il faut énumérer tous les items un par un). Enquête encore rallongée quand plusieurs QI.
• SRCV : même avec la suppression des questions CVS, les questions sur les revenus rendent l’enquête complexe et très longue par téléphone : entre 1h15 et 1h30 pour la plupart des retours.
Dans ces deux cas, pour rendre l’enquête acceptable pour les deux parties, il faut la faire en plusieurs fois.
• La gestion de plusieurs enquêtes en même temps par téléphone est encore plus compliquée qu’en face à face car en l’absence de fiches papier, impossible de trier ce qui est fait de ce qui ne l’est pas.
• Des questions paraissant parfois incongrues par rapport à la situation de confinement
◦ EEC : difficultés sur les semaines de référence qui sont celles du confinement ;
◦ Camme certaines questions sont décalées (appréciation de la situation sur 12 mois alors que les enquêtés répondent plutôt sur la situation de crise).
• Pour mémoire, ces problèmes sont identifiés depuis longtemps : cf. quelques extraits du rapport de l’IG sur les enquêtes téléphoniques :
« Les questionnaires complexes ou longs, dépassant une durée de l’ordre d’1/2 heure, sont réputés ne pouvoir être réalisés qu’en face à face. » (page 9)
« Une durée d’entretien importante peut néanmoins conduire l’enquêté à raccrocher son téléphone ou à expédier les réponses aux questions ; on considère qu’au-delà de 30 mn le risque est important. » (page 18)
« L’organisation concrète des enquêtes par téléphone est complexe, en raison de la disponibilité des enquêtés, du temps de travail et de la charge mentale liée à une telle activité. Il est important de mesurer le nombre d’enquêtes raisonnablement réalisables par jour et le nombre maximum de FA par enquêteur sur la durée d’une enquête. Cette mesure doit également tenir compte du nombre d’enquêtes réalisées un jour donné. » (page 26)
« Les éditeurs de l’ouvrage mettent aussi en avant une autre évolution sociétale tenant à la sensibilité accrue au risque de rupture de confidentialité et de charge statistique liée aux enquêtes, avec une nécessité de communication accrue auprès des enquêtés, par le biais notamment des lettres-avis ou plus globalement de toute l’ingénierie d’approche et de relance des enquêtés (site d’information, lettres-avis, mails, SMS). » (page 28)

Partie II : les raisons de ne passer TeO et MVF en téléphone

Tous les problèmes et risques organisationnels recensés précédemment sur les enquêtes en cours (EEC, SRCV, L&C, Camme) se poseraient pour la passation de TeO et MFV, et notamment les difficultés à faire accepter l’enquête en situation de crise sanitaire, les difficultés liées à l’adaptabilité des questionnaires en mode téléphonique, ainsi que celles relatives à la charge mentale des enquêtrices.
Sur tous ces points, les difficultés seraient accrues pour TeO et MFV du fait de leur spécificité même.

Inacceptabilité de la nécessité du maintien de ces enquêtes en situation de crise sanitaire :

L’argumentaire (qui figure sur le site Insee.fr, cf annexe 1) visant à faire accepter aux enquêtés la nécessité du maintien, pendant le confinement, des enquêtes en cours via le passage en mode téléphonique se rapporte exclusivement à l’importance du rôle de ces enquêtes pour mesurer, de façon conjoncturelle, les impacts de la crise sanitaire sur l’emploi et le chômage (EEC), les prix des loyers du privé comptant dans l’inflation (L&C), le moral et ressenti des ménages (Camme), leurs conditions de vie et bien-être (SRCV).

Cet argumentaire est déjà extrêmement faible concernant SRCV qui, bien que relevant comme les trois autres d’un règlement européen, n’a jamais eu la vocation de fournir des indicateurs conjoncturels contrairement à EEC, L&C et Camme (cf. annexe 2 le rappel des objectifs des différentes enquêtes) ! Il s’agit d’ailleurs d’une enquête annuelle et non pas mensuelle comme Camme ou trimestrielle comme EEC et L&C. Sur cette enquête SRCV en particulier, nous souhaiterions d’ailleurs savoir quelle position a été adoptée dans les autres pays européens, notamment en Italie et Espagne.

L’argumentaire du suivi des effets de la crise sanitaire sur les situations des populations est encore plus inapplicable à TeO et à MFV : ces deux enquêtes ont pour vocation l’analyse de données structurelles et de processus socio-démographiques de long terme, sur des sujets sensibles qui sont d’importance dans le débat social en période « normale », mais ne relèvent pas (comme la mortalité ou la morbidité) des sujets essentiels et vitaux sur lesquels il est nécessaire de disposer d’éléments conjoncturels en période de crise sanitaire exceptionnelle.

Il s’agit d’enquêtes réalisées de façon apériodique : l’un des intérêts d’avoir conçu des éditions 2020 pour TeO comme pour MFV (affiché comme tel à la fois sur le sites du Cnis, de l’Insee et de l’Ined) est d’ailleurs de répondre au souhait des utilisateurs, particulièrement des chercheurs, d’actualiser et de pouvoir comparer certains sujets avec les mêmes enquêtes réalisées 10 ans auparavant.

Le passage en téléphonique dégraderait fortement les taux de réponses et comporterait de nombreux biais de réponse liés à la fois au changement inopiné de protocole (passage en téléphone d’un questionnaire prévu pour le face à face, cf ci-dessous) et au contexte exceptionnel de passation (confinement des enquêtés comme des enquêtrices) : quel intérêt pour les chercheurs en sciences sociales de disposer in fine de résultats fortement dégradés et biaisés, pour une enquête coûteuse réalisée seulement tous les 10 ans ? Quel est l’avis du comité du label ?

Non adaptabilité des questionnaires en mode téléphonique :
TeO comme MVF sont des enquêtes très longues, multi-thématiques, dont les questionnaires avec un nombre important d’items voire de filtres ne sont pas adaptés au mode téléphonique.

Il s’agit dans les deux cas d’enquêtes sur des sujets personnels et très sensibles qui nécessitent des garanties de passation que ne permettent pas, dans beaucoup de cas, les conditions de confinement des enquêtés.
Par ailleurs, les problèmes de barrière de la langue (sujet qui se pose inévitablement sur des enquêtes dont le but est de sur-représenter les enquêtés étrangers ou immigrés, potentiellement non francophones) sont accrus dans le cas du mode de passation téléphonique, ce qui générerait une difficulté de réalisation supplémentaire.

Il est donc prévisible qu’au-delà des problèmes de refus de réponse, s’ajouteraient les nombreux biais de collecte susceptibles de se produire en cas de passage en mode téléphonique, et identifiés dans le rapport de l’Inspection générale précédemment cité :

« Impact du mode de collecte
• des biais cognitifs : capacité de l’enquêté à comprendre le sens de la question qui lui est posée, et capacité de l’enquêteur à transcrire fidèlement la réponse de l’enquêté, ces capacités s’exerçant plus ou moins facilement selon le mode de collecte ;
• du « satisficing » : que l’on pourrait définir comme la tendance pour l’enquêté à fournir des réponses rapides, approximatives, voire sciemment erronées, dans le but de se débarrasser de l’enquête le plus rapidement possible, i.e. de traiter l’enquête « par-dessus la jambe » (une variante extrême du satisficing pouvant consister pour l’enquêté à mettre un terme à l’entretien alors que celui-ci n’est pas achevé, ce qui rapproche d’une problématique de non-réponse totale) ;
• des biais de désirabilité sociale : tendance de l’enquêté à fournir des réponses « socialement désirables » en particulier sur des sujets sensibles. » (page 28)
Au final, l’ajout en mode téléphonique de ces deux enquêtes à celles déjà en cours accroîtrait fortement la charge mentale et les conflits de valeurs pour les enquêtrices, sans qu’elles puissent en aucune façon percevoir l’utilité sociale de maintenir un travail dégradé sur ces enquêtes.
L’annonce faite des réflexions en cours sur ces enquêtes est qualifiée de façon quasi unanime de « goutte d’eau » insurmontable. Poursuivre ces réflexions et ces projets n’aurait ainsi qu’une conséquence potentielle : dégrader encore plus la collecte téléphonique des enquêtes conjoncturelles.

C’est pourquoi nous demandons instamment l’abandon des réflexions en cours sur l’éventuel passage de TeO et MFV en mode téléphonique.

Annexes : textes de référence cités

Annexe 1 : argumentaire sur les enquêtes en cours sur Insee.fr
« Poursuite des enquêtes auprès des particuliers par téléphone et internet dans le contexte de la crise sanitaire actuelle

Depuis le 16 mars 2020 et la crise sanitaire liée au Coronavirus, les enquêteurs et enquêtrices de l’Insee ne vont plus réaliser des enquêtes au domicile des personnes interrogées. Néanmoins, analyser la société et l’économie nécessite de disposer d’indicateurs socio-démographiques quelle que soit la situation, et tout particulièrement durant la période de crise sanitaire pour certains d’entre eux. Dans ces conditions, l’Insee poursuit plusieurs de ses enquêtes durant cette période, mais dans tous les cas exclusivement par téléphone (ou internet lorsque l’enquête le permet).

Il est important que les personnes sélectionnées pour participer aux différentes enquêtes y répondent. Aussi, malgré les circonstances exceptionnelles que nous traversons, nous vous remercions de consacrer autant que possible un peu de votre temps pour répondre à notre enquêteur ou enquêtrice par téléphone. Les enquêtes qui se poursuivent actuellement sont les suivantes :

 enquête Emploi : il s’agit de la source de référence pour mesurer le taux de chômage et connaître les caractéristiques des personnes en emploi, des chômeurs et des personnes qui ne travaillent pas ou plus, les retraités par exemple. En cette période de crise sanitaire, il est plus que jamais nécessaire de disposer de ces indicateurs. Vos réponses nous permettront de mieux connaître les conséquences de la crise sanitaire sur l’emploi et le chômage.
 enquête Loyers et charges : cette enquête permet de mesurer l’évolution trimestrielle des loyers du secteur privé et d’alimenter la mesure de l’inflation. Ceux-ci peuvent continuer à évoluer y compris durant la crise sanitaire. Il est donc important de poursuivre leur observation.
 enquête de conjoncture auprès des ménages (Camme) : cette enquête permet de collecter des éléments sur le moral des ménages et leur opinion sur la conjoncture économique. Ces informations sont d’autant plus importantes dans le contexte que nous vivons. Elles constitueront des éléments précieux sur la façon dont est ressentie cette crise sanitaire.
 enquête sur les ressources et les conditions de vie (SRCV) : cette enquête est essentielle pour la connaissance des conditions de vie des personnes, conditions de vie matérielles mais aussi santé et bien-être. Dans les circonstances actuelles, collecter ces informations permettra de disposer d’éléments sur l’impact de la crise sanitaire sur les conditions de vie des Français, en particulier leur bien-être.
 enquête Entrée dans la vie adulte (EVA) : cette enquête a pour objectif de décrire les conditions de vie, la poursuite éventuelle d’études et l’insertion professionnelle de jeunes entrés en 6e en 2007. Elle est réalisée exclusivement au travers d’un questionnaire internet à ce stade. Elle a été lancée avant la crise sanitaire et se poursuit actuellement. »

Annexe 2 : objectifs des enquêtes tel que définis, pour chaque enquête, sur les sites du Cnis et de l’Insee (MFV)

EEC : « L’enquête Emploi est un élément central de l’observation structurelle et conjoncturelle du marché du travail. Elle est la seule source permettant de mesurer le statut d’activité (emploi, chômage) conformément aux normes établies par le Bureau International du Travail (BIT).

Elle apporte également de nombreuses informations sur l’état du marché du travail et son évolution : le volume de la population active, le nombre de chômeurs et le taux de chômage, les caractéristiques des personnes présentes sur le marché du travail, les caractéristiques des emplois occupés (profession, durée du travail, type de contrat…), mais aussi le niveau d’éducation et les formations suivies.
L’enquête Emploi est l’édition française de la Labour Force Survey (LFS) ; elle répond à des exigences européennes. »

Loyers et Charges : « L’enquête trimestrielle, réalisée auprès des locataires du secteur libre, a pour objectif de mesurer la variation des loyers à qualité constante. L’enquête n’a pas vocation à mesurer des niveaux, ni à répondre à des besoins de données plus structurelles sur les loyers, contrairement à d’autres sources existantes (et notamment l’enquête Logement…), dont les objectifs sont différents. L’enquête Loyers et Charges permet de répondre au Règlement (CE) n° 2494/95 du Conseil, du 23 octobre 1995, relatif aux indices des prix à la consommation harmonisés (IPCH). »

Camme : « Afin de suivre l’opinion que portent les ménages sur leur environnement économique et sur leur propre situation personnelle, une enquête de conjoncture auprès des ménages est réalisée chaque mois par les États membres de l’Union européenne. Cette enquête « consumer survey », baptisée CAMME en France, a pour objectif de recueillir, mois par mois, des informations sur le comportement des consommateurs, ainsi que sur leurs anticipations en matière de consommation et d’épargne.
Elle mesure également les phénomènes conjoncturels tels qu’ils sont perçus par les ménages (évolution des prix, etc.). L’enquête CAMME fournit ainsi une aide au diagnostic conjoncturel de l’économie française.
Un diagnostic conjoncturel et des prévisions à court terme de consommation des ménages est établi. Cette analyse est fréquemment commentée dans les médias sous la désignation de « moral des Français ». Les ménages sont interrogés trois mois de suite. »

SRCV : « L’enquête SRCV (ou European Union Statistics on Income and Living Conditions EU-SILC) a pour objectif la constitution d’une base de données actualisée chaque année et servant de référence pour la connaissance des revenus, des conditions de vie et de l’exclusion sociale dans les États membres. SRCV permet ainsi la production d’indicateurs structurels sur la répartition des revenus et la pauvreté en France tels que le taux de pauvreté monétaire, le taux de pauvreté matérielle et sociale et la persistance dans la pauvreté.
L’enquête SRCV s’inscrit dans le programme d’action communautaire de lutte contre l’exclusion sociale et fournit le matériau statistique au rapport de synthèse annuel de la Commission Européenne sur ces questions.
Elle a également pour finalité de mettre à disposition des chercheurs une base de microdonnées sur les revenus et conditions de vie, afin qu’ils puissent mener des études comparatives sur les inégalités, la dynamique des revenus et le rôle des politiques sociales et fiscales dans la redistribution. »

TeO : « L’enquête TeO2, comme l’enquête de 2008-2009, s’intéressera à l’articulation entre l’origine et les autres catégories de distinction dans la société française (genre, classe sociale, âge, quartier, etc.) afin d’analyser les processus d’intégration, de discrimination et de construction identitaire concernant toute la population dans la société française. La nouvelle enquête poursuivra les mêmes objectifs que l’enquête de 2008-2009 et en reprendra donc les principaux modules. Un des enjeux essentiels de cette nouvelle enquête est de mettre à jour les données produites par l’enquête précédente. Aussi la continuité du questionnaire sera-t-elle privilégiée.
Dans cette perspective, l’enquête sera réalisée, comme la première édition, auprès de cinq groupes distincts :
– des immigrés, personnes nées étrangères à l’étranger ;
– des descendants directs d’immigrés, personnes nées en France ayant un ou deux parents immigrés ;
– des personnes nées dans un département d’Outre-mer ;
– des personnes nées en France métropolitaine dont au moins un parent est né dans un département d’Outre-mer ;
– des personnes n’appartenant à aucun des groupes précédents. Cette population a été appelée « population majoritaire » dans la plupart des publications de TeO1.
Parce qu’elle reposait sur un effort d’échantillonnage des groupes d’immigrés les plus nombreux en France – même s’ils présentent de faibles effectifs dans l’absolu – l’enquête TeO1 a permis de produire des résultats relativement détaillés en fonction de l’origine géographique : Algérie, Maroc-Tunisie, Afrique sahélienne, Afrique guinéenne ou centrale, Asie du Sud-Est, Turquie, Portugal, Espagne ou Italie, autres pays de l’UE, autres pays. Pour TeO2, la maîtrise d’ouvrage s’interroge sur l’opportunité de modifier la liste de ces groupes, notamment dans le but d’intégrer des populations issues de « nouveaux » pays d’immigration (comme la Chine, par exemple).
Le questionnaire sera, dans sa plus grande partie, commun à ces cinq sous-échantillons. L’enquête TeO2, comme la première édition, est centrée sur les trajectoires sociales des individus et sur l’analyse des processus d’insertion. Le questionnaire s’intéressera donc aux parcours individuels et comprendra des éléments rétrospectifs (trajectoires scolaires, professionnelles, familiales et résidentielles). Le recueil des éléments constitutifs de l’origine, aussi bien géographique que sociale, culturelle ou résidentielle fera l’objet d’une attention particulière.
Chaque sphère de la vie des enquêtés sera approfondie dans un module spécial. Comme lors de l’enquête de 2008-2009, les principaux thèmes abordés seront :
– l’environnement familial et social (entourage familial, histoire matrimoniale, relations sociales),
– l’accès aux différentes ressources de la vie sociale (éducation, logement, emploi, santé, vie citoyenne)
– les différentes dimensions des origines et appartenances culturelles (lien avec le pays d’origine, religion, langues, image de soi et regard des autres).
Le thème des discriminations sera abordé de façon transversale dans différents modules. »
Migration, Familles, Vieillisement (MFV) : « Apporter un éclairage nouveau sur les évolutions démographiques, sociales, économiques et sanitaires dans les DOM ces dix dernières années
Les migrations et le vieillissement sont des défis majeurs pour les DOM, même si leurs conséquences se font sentir selon un calendrier et une intensité spécifiques à chacun. À la croisée de ces deux dynamiques, la famille et ses changements pèsent sur les stratégies migratoires et déterminent les formes de solidarités intergénérationnelles. Pour définir les politiques adaptées, les décideurs publics locaux et nationaux ont besoin d’information statistique sur ces sujets. C’est pourquoi l’enquête MFV a été conçue.

L’enquête couvre de nombreuses thématiques : trajectoires migratoires, ressources, mode de vie et état de santé des personnes âgées, diversité des formes d’union, proximité géographique des générations, pratiques culturelles et sociales, etc. En complément de ces sujets, MFV consacre une place importante à l’étude des discriminations vécues par les populations. En cela, elle se présente comme une extension adaptée de l’enquête TeO2 dans les DOM. »

Retour en haut