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Article publié le 15 février 2019.

Questions sensibles par téléphone pour une expérimentation

Le tract CGT, FO, SUD

La direction de l’Insee a décidé de lancer une expérimentation sur grand échantillon pour la "panelisation" de l’enquête CVS (cadre de vie et sécurité), et ce avec une passation par téléphone.

Après la saisine du CHSCT-S puis du directeur général en janvier sur ce sujet nous attendions des réponses de la direction de l’Insee.

En effet une partie du questionnaire de l’enquête CVS annuelle est passée sous casque depuis que des enquêtrices et enquêteurs se sont battu-e-s pour que ces questionnements difficiles relèvent d’un protocole particulier. En effet, des questions sur les violences, les viols peuvent amener les enquêté-e-s à revivre des situations extrêmement douloureuses. Le questionnement « seul-à-seul avec l’ordinateur », avec un questionnement posé via une voix sous casque, avait été pendant plus de 10 ans la solution la plus efficace pour rendre possible les réponses à l’enquête en évitant à l’enquêté-e le regard de l’enquêtrice ou enquêteur.

Du côté enquêtrices et enquêteurs, la confrontation avec le revécu de cette violence, la crainte de laisser des enquêté-e-s démuni-e-s après leur départ du domicile, avait également été identifié de longue date comme un risque professionnel particulier auquel la direction de l’Insee se devait d’être attentive.
Or malgré nos sollicitations réitérées de voir abordées les questions de santé au travail, de réorganisations....dans le cadre du CHSCT-S qui est fait pour cela, la direction de l’Insee n’a pas jugé bon de présenter ce projet avant que la formation ne soit réalisée par les agents des Dem en décembre. Pire, la direction n’a même pas répondu aux simples demandes d’information formulées le 15 janvier dernier par le CHSCT-S.

Ce sont des enquêtrices et enquêteurs qui ont alerté sur le danger de passer ces questions par téléphone : impossibilité de juger si l’enquêté-e est bien seul-e pour répondre aux questions, pas d’anonymat garanti, notamment dans une petite ville.
Comment faire quand on a entendu le témoignage d’un-e enquêté-e ? Comment se protéger de la réaction d’un tiers ? Difficile également de juger de l’état dans lequel on laisse un-e enquêté-e après ses réponses à des questions douloureuses.
Aucune formation spécifique n’était prévue pour une enquête téléphonique de nature très différente de celles que réalisent habituellement les enquêtrices et enquêteurs.

Suite aux réactions des enquêtrices et enquêteurs, puis d’agents des Dem, la direction a répondu qu’il ne s’agissait que d’une expérimentation (mais sur un grand échantillon tout de même) destinée justement à estimer l’acceptabilité d’une telle enquête par ce mode de collecte.

Sur le fond du sujet la direction estime avoir correctement évalué la difficulté de l’enquête. Mais dans la mesure où d’autres institutions (Ined en France, ou autres dans d’autres pays) ont réussi à questionner des enquêté-e-s sur des questions identiques, elle estime qu’il n’y avait pas de signal montrant des précautions particulières à prendre. Elle juge néanmoins que le téléphone était une réponse, selon elle, adaptée à la difficulté de questionnement sur ces sujets délicats. De plus elle rappelle qu’elle a respecté l’obligation de passer au comité du label du Cnis, lequel n’y a pas décelé de problème.
 
Elle estime enfin que les enquêtrices et enquêteurs ont la possibilité de ne pas passer ces questions délicates si elles et ils estiment que les conditions adéquates ne sont pas réunies, mais ne veut pas revenir en arrière sur le fait que l’expérimentation est pour elle importante.

Nous déplorons cette réponse car nous jugeons que les violences sont un sujet important et leur connaissance doit reposer sur une collecte d’information exemplaire. Le retrait de questions sur des violences intrafamiliales, afin de faciliter la passation par téléphone nous semble, paradoxalement un bon contre exemple : si pour faciliter la passation d’une enquête, on doit se priver de connaissances sur les violences les plus fréquentes, il y a bien un problème.

En aucun cas nous ne demandons le retrait de questions au motif qu’elles portent sur des sujets sensibles. Bien au contraire, nous estimons que ces questions fondamentales doivent être abordées mais qu’elles doivent l’être selon des modalités et avec les moyens nécessaires qui garantissent la qualité de l’enquête tout autant que la santé et la sécurité des enquêtrices et enquêteurs chargés de passer le questionnaire.

A l’heure du développement du « multi-mode » (face à face, téléphone, internet), nous regrettons que la direction de l’Insee ne se soit pas donné tous les moyens de pour réaliser une expérimentation réussie :
 des délais plus longs et avec des moyens plus conséquents ;
 des tests de questionnaire dans des DR où des incidents de collecte sur des sujets similaires avaient eu lieu ;
 des formations spécifiques sur les enquêtes au téléphone (pas seulement les formations sur la passation de l’enquête emploi par téléphone !!) ;
 des formations spécifiques à la conduite d’enquête dites « sensibles » ;
 des consignes particulières pour éviter le risque de connaissance des enquêté-e-s par les enquêtrices et enquêteurs ...

Tous ces éléments et sans doute d’autres propositions, les représentant-e-s en CHSCT-S et en GT national auraient pu les faire si les responsables de la coordination des enquêtes siégeant dans cette instance trois fois par an avaient un minimum pesé la complexité d’une telle enquête et la nécessité de l’y présenter afin de garantir sa réussite.

Pour notre part, il n’est pas question de faire courir un risque ni aux enquêté-e-s, ni aux enquêtrices et enquêteurs, ni aux agents des Dem qui en assurent l’encadrement. Nous appelons les enquêtrices et enquêteurs à ne pas passer les questions sur les violences et à les cocher en "n’a pas réussi à isoler la personne".
Nous demandons par ailleurs que les moyens nécessaires soient mis par l’Insee pour que le multi-mode, dont les passations par téléphone, soient prises en compte sérieusement de manière à réaliser des collectes robustes pour fournir des statistiques publiques de qualité.

Le 14 février 2019

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