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Article publié le 24 septembre 2020.

Pour de bonnes conditions de (télé)travail !

La crise sanitaire du printemps 2020 a précipité la mise en place du télétravail dans de nombreux secteurs de la fonction publique.
L’Insee y était sans doute plus préparé que d’autres administrations : la dotation en ordinateurs portables potentiellement « nomades » suffisamment puissants était déjà en cours auprès d’une part non négligeable
d’agents....

La montée en demandes de télétravail avaient préparé l’Insee depuis plus de deux ans.
Le réseau avait déjà été testé sur sa capacité à absorber des circulations importantes de données lors des grèves retraites de décembre : on avait vu que le réseau à distance était sous-dimensionné, mais on comprenait que l’Insee se mettait en position de pouvoir répondre à la demande.

Hors les premières semaines de mise en route, mieux équipé et préparé, l’Institut a donc testé un télétravail pour une grande majorité des agents pendant le confinement, puis depuis le déconfinement, un télétravail très largement présent dans les équipes.

Quelles réflexions cela nous permet-il ? Comment peut-on envisager le télétravail depuis qu’il a été testé « en grandeur nature » ?

Les raisons des demandes de télétravail, ses avantages

Depuis le vote sur la loi sur le télétravail, puis lors de son ouverture à l’Insee en 2017 suite au décret fonction publique de 2016, les demandes d’agents sont allées en croissant, et ce pour de multiples raisons qu’on nomme « personnelles ».

• pratiques de gestion de la vie quotidienne : enfant à aller chercher tôt en fin de journée, activité extérieures ;
• évitement de la fatigue des temps de transports ;
• économies sur les frais de transports (essence, usure de la voiture) ;
• gestion d’une situation de mobilité avec domicile très éloigné ;
• efficacité pour ne pas avoir à répondre aux nombreuses sollicitations existant dans les collectifs de travail ;
• fuite ou évitement par rapport à des relations difficiles avec un·e ou des collègues ;
• ...

En fait, ces situations « personnelles » sont des situations sociales partagées, et plus collectives que ce que ce « choix personnel » tant invoqué veut faire croire :

• des difficultés de gestion dans le couple pour que chacun-e ait des chances d’évolution de carrière équivalentes ;
• difficultés de gestion de la famille spécifiques pour les familles monoparentales ;
• des moyens monétaires insuffisants qui amènent à un choix du lieu de logement limité et qui conduit à des distances importantes au lieu de travail. Cette situation étant souvent liée avec le coût important d’un véhicule et du carburant.
• des situations familiales complexes (situation d’aidant-e d’un-e proche malade ou handicapé)
• situations de travail générant des problèmes de santé : difficultés à traiter une charge de travail trop importante, difficultés de relation avec la hiérarchie ou avec les collègues, évitement d’une situation de harcèlement...
• les économies d’énergie réalisées lors des déplacements évités sont réelles. Mais le bilan énergétique doit être fait au niveau global car sa consommation lors de la circulation numérique des données n’est pas négligeable.

De manière « banale » le télétravail est la seule possibilité de grappiller un peu de temps sur une ou deux journées, pour régler des problèmes de vie, familiale, de santé ou autres.

Mais pour d’autres personnes le télétravail est une soupape incontournable pour gérer des situations qui mériteraient des journées libres (gestion d’enfants, de proches…). Ces journées libres seraient possibles avec un temps partiel mais la baisse de salaire afférente ne serait pas supportable pour certain·e·s agent·e·s.
Cette soupape peut pourtant occasionner des conditions de travail fatigantes (travail très tôt ou très tard le soir, ou reporté sur les we…) lorsque la charge de gestion familiale est trop lourde.

La crise sanitaire due au Coronavirus

Elle a plongé d’un coup une très large majorité d’agents de l’Insee dans un télétravail permanent, pas forcément souhaité et surtout dans l’impréparation comme pour la totalité des administrations et entreprises.
Après les premières semaines de difficultés techniques, l’amélioration des connexions a permis la possibilité d’un travail sur poste « nomade » quasi normal toute la journée, et de nombreux agents ont pu être dotés de ces postes nomades.

Il faut noter que l’Insee a globalement été une administration correcte, qui a octroyé des droits aux parents d’enfants qui demandaient à être déchargés, ce n’est pas le cas de toutes les administrations. Elle n’a encore une fois globalement, pas imposé de charge de travail aux agents qui ne pouvaient l’assurer.
Certains agents ont même pu être demandeurs de travail alors qu’ils ou elles étaient en situation de mission non prioritaire, afin de se changer les idées dans le cadre du confinement.

La désorganisation du travail du mois de mars a créé des situations très disparates.
Entre les agents assurant une charge de travail plus élevée (avec éventuellement des enfants à charge à la maison de surcroît, ou d’autres charges familiales) et les agents n’ayant pas pu travailler du tout car sans micro ou avec des travaux non prioritaires, la charge de travail a joué au grand écart, avec toute une palette intermédiaire.

Dans l’enquête réalisée auprès des agents de l’Insee sur le confinement, il faut noter une majorité d’agents satisfaits de leur charge de travail, ce qui ne veut pas dire que toutes les situations ont été roses : notamment la fatigue liée aux conditions de travail a été notée, la difficulté à avancer dans les travaux sans les contacts avec les collègues…
In fine une part d’agents non négligeable ont travaillé plus pendant cette période : les hauts cadres et cadres sont les plus nombreux, mais toutes les catégories d’agents ont été concernées.

Actuellement, encore en situation d’épidémie, le télétravail partiel est accordé à tous les agents de l’Insee de manière exceptionnelle pour une période durable.

De fait, une partie des agents qui avant le confinement n’auraient pas pensé à demander un télétravail, voire qui redoutaient d’avoir à travailleur seul·e·s chez soi, disent qu’ils et elles y sont favorables, au moins pour une partie du temps.
Le rejet total du télétravail « après expérimentation » semble moins fréquent mais il existe aussi, pour partie dû à l’exiguïté ou la structure du logement, à la situation familiale rendant difficile le travail à domicile, ou à l’isolement généré par cette forme d’organisation du travail.

Les inconvénients et méfaits du télétravail ont été analysés

Des syndicats, dont le nôtre, ont longtemps émis des réserves sur le télétravail notamment sur le fait qu’il individualise la position des agents, dont le collectif de travail est diminué. La situation des enquêtrices et enquêteurs de l’Insee, qui ont longtemps signalé les difficultés engendrées par l’isolement et l’éloignement des lieux collectifs d’échanges, en était pour nous une preuve tangible.

Or le collectif de travail est ce qui protège les travailleuses et travailleurs qui, il faut le rappeler, ne sont pas en position d’égalité vis-à-vis de leur employeur !

Évidemment on ne parle pas de la même chose pour un télétravail complet ou un télétravail de 1 ou 2 jours par semaine...

Le test qu’a constitué la crise sanitaire a été exacerbé : télétravail à temps plein et confinement donc avec contraintes de rester au domicile avec conjoint et enfants, ou d’autres personnes, dans des situations de confort loin d’être optimal pour tout le monde.

De plus une étude de l’Ined a montré que des situations de télétravail accentue les inégalités femmes / hommes. https://www.ined.fr/fichier/rte/General/ACTUALIT%C3%89S/Covid19/note-synthese-Cocovi-finale.pdf . De fait, les parents en général peuvent avoir un télétravail plus difficile à réaliser si leurs enfants sont présents chez eux : concrètement, cette enquête montre que les femmes voient leur situation dégradée.

Mais avant cette situation exacerbée, le télétravail a montré des points faibles voire dangereux :

• L’inégalité de situation entre agents ayant un logement exigu ou grand, équipé ou pas de tables et de fauteuils ergonomiques, de moments de calme pendant toute la période de travail. Il est évident que les agents les plus défavorisés sont généralement celles et ceux qui ont des revenus les plus bas.

• Les agents effectuant un télétravail ont tendance à travailler un temps plus long que celui forfaitisé, un peu comme si ils et elles « rendaient » un peu de temps à leur employeur sur celui gagné dans les transports. Ceci étant accentué par le fait que l’éloignement des collègues et de la hiérarchie engage souvent à montrer que même à distance on travaille « vraiment », et donc en fait à travailler plus pour se légitimer auprès des autres.

• L’ergonomie physique au travail est prise en charge assez correctement dans notre administration. On s’en est aperçu en travaillant des journées entières sur des chaises et tables personnelles qui ne sont clairement pas faites pour cela ! Sans parler de la différence entre un ordinateur fixe et un ordinateur portable dont l’écran est bien trop petit et trop bas pour les cervicales. De plus les double-écrans sont en train de se multiplier dans les bureaux : revenir à un seul écran abouti souvent à des manipulations supplémentaires !

• L’isolement d’agents qui travaillent souvent en télétravail n’est pas négligeable : les relations sociales avec les collègues se construisent au fil des jours, dans les moments de travail collectifs ou les moments de convivialité. Si certain-e-s trouvent « agréable » voire nécessaire d’être « tranquille » pour arriver à bien gérer des dossiers, un télétravail trop dense casse les relations, et ce d’autant plus que les collègues changent régulièrement de postes.

• L’équilibre entre la vie personnelle et le travail est bien plus vite remis en question lors du télétravail. Le fait de ne pas « isoler » le travail dans son environnement propre, fait qu’il envahit toute la vie sans laisser de moment complètement libre : entre les outils faciles à consulter comme la messagerie sur un smartphone, et l’ordinateur à la maison qui permet si facilement de s’avancer sur son travail ou d’en résorber le retard pendant les périodes de repos…, on n’arrive souvent plus à se rendre compte qu’on ne maîtrise pas l’immersion du travail dans sa vie personnelle !

• Un point qui n’a pour l’instant pas donné lieu à une application est le gain de surface des établissements : en effet, à mesure que se développe le télétravail, le nombre de personnes présentes dans les locaux chaque jour baisse. De nombreuses entreprises y ont vu l’occasion de réduire leurs mètres carrés ! Ce n’est pas le cas à l’Insee, mais on voit mal le ministère des Finances ne pas faire ce calcul qui pourrait aboutir pour le coup à une baisse de surface des bureaux. Gare au « flexibureau » !

Le télétravail peut changer en profondeur notre organisation du travail

On ne s’en rend pas forcément compte quand le télétravail arrive dans un collectif constitué et qui fonctionne.
Or les collectifs de travail bougent, en particulier à l’Insee où les mobilités sont très fréquentes. Arriver à se connaître et à travailler ensemble quand on ne se connaît pas est toujours plus difficile : nous en faisons régulièrement l’expérience avec les équipes réparties sur le territoire, et où les créations de pôles éloignés ne permettent pas forcément aux agents de se rencontrer.

Car le « collectif de travail » ne se limite pas pour nous aux temps de réunions, mais consiste bien dans tous les échanges, formels ou informels sur le fond technique du travail, sur l’organisation du travail, sur l’environnement de travail...beaucoup de moments improductifs au sens du travail réalisé, mais pourtant indispensables pour la réalisation finale de travaux de qualité.

Accumuler des plages de télétravail importantes à beaucoup d’agents aboutirait à une perte de sens du travail. Il est évident que le travail personnel s’effectue pour une part de manière isolée. Mais il ne faut pas minorer la part de l’apport des collègues dans ce travail personnel.

Il ne faut pas minorer non plus le travail important que le suivi en bilatérale peut occasionner aux encadrant·e·s : ce qui en bureaux et avec des échanges partagés avec d’autres agents paraît plus souple, demande une charge de travail spécifique à distance.

Ce travail parfois informel d’échanges peut s’oublier dans le décompte du temps de travail. Pourtant de nombreuses études montrent qu’il est essentiel et on ne peut faire l’impasse sur lui très longtemps.

Autre sujet voisin, certain·e·s responsables hiérarchiques, qui pour la plupart n’ont pas été formé·e·s ni n’ont réfléchi aux conséquences de la mise en place du télétravail, peuvent parfois cibler la gestion du travail sur l’absence totale de temps morts. En quelque sorte, ce qui est acceptable « au bureau » ne le serait pas « à domicile » . Cela est encore un point mort de la réflexion sur le télétravail, et on a pu voir encore dans le cas des enquêtrices et enquêteurs de l’Insee que l’envie de surveiller que l’agent travaille quasiment à chaque minute est très vite présente.

Enfin un dernier point auquel il faudra être attentif à l’intégration pour les nouvelles et nouveaux dans les équipes quand elle se fait pour une grande part à distance : la rentrée 2020 va être sur ce point une nouvelle expérimentation en soi.

Nos revendications syndicales

Notre analyse sur la nécessité de maintenir un collectif de travail rend pour nous non souhaitable d’organiser un télétravail total ou majoritaire, sans précautions pour les conditions de travail pour les agents. Cela se traduit par ces revendications :

• Préservation du collectif de travail : il est nécessaire, plutôt que de parler du nombre de jours de télétravail autorisés, de parler d’un nombre d’un nombre de jours minimum de travail en présentiel permettant les rencontres, les échanges et le partage. Cela veut dire réfléchir collectivement à ce que ces échanges soient possibles, et non pas enregistrer le droit individuel au télétravail et constater « ce qui reste » en temps commun possible.

• Droits à déconnexion : il doit être mentionné de manière positive, avec des règles qui ne soient pas facultatives, pour prévenir le débordement sur la vie personnelle. Ainsi des règles sur les horaires de réunion, d’envoi des méls...doivent être suivies par toutes et tous, y compris la hiérarchie.

• Égalité de traitement entre agents : Cela veut dire proposer des lieux de travail collectif proches des domiciles des agents pour celles et ceux qui ne peuvent libérer une pièce au calme pour travailler correctement. Cela veut dire également la fourniture de matériels ergonomiques permettant d’éviter les troubles musculo-squelettiques : écrans voire double écrans, souris, fauteuil.

• Prise en charge des surcoûts liés au télétravail : électricité, internet, surface « bloquée »….

• Examen individualisé pour adapter les conditions de travail des personnels en situation de handicap.

• La réflexion et la formation de tous les agents sur le télétravail, car cette organisation du travail spécifique ne peut se mettre en place sans cela.

L’expérimentation de toutes et tous de cette nouvelle forme d’organisation du travail est un grand bouleversement. Il est dès maintenant nécessaire d’échanger entre nous car les certitudes de chacun·e ont pu être mises à l’épreuve, et surtout chacun·e avons un avis sur l’impact que cela a occasionné sur notre situation et sur celle de notre collectif de travail.
A nous d’inventer les conditions dans lesquelles le télétravail doit s’exercer !

Le 22 septembre 2020

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